Sam restait silencieux, détendu, ce genre de débat ne l’intéressait guère. C’était plus un homme d’action et de provocation, qui me laissait bien souvent occuper la quasi-totalité du temps de parole, seulement pour me couper lorsque l’envie lui vient de plaisanter, souvent avec un certain goût.

La demoiselle expliquait venir d’une famille de chasseur de rang C et s’étant elle-même éveillée au rang E, m’interrogeant sur l’eugénisme de la chose. L’éveil avait-il plus de chance de se transmettre si les deux parents l’avaient eux même traversée ? C’était une question qu’il serait bon de creuser à l’avenir.

Mais il fallait avant ça répondre aux questions de la demoiselle concernant notre assurance.

« Il est évident que nous tout deux éveillés, après tout nos sommes a Rio. La ville n’est plus entre leurs mains, et ils ne peuvent plus vivre parmi nous au risque de mourir à la moindre altercation. Pour ce qui est de nos connaissances et de notre confiance, je dirais simplement que nous avons suffisamment vécus ici pour savoir comment les choses fonctionnent. J’imagine que tu ne vie pas dans ton milieu naturel avec une peur constante, n’est ce pas ? »

Je haussais les épaules nonchalamment avant de reprendre.

« Mais j’avoue que votre histoire m’intrigue … Je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’étudier le cas de famille de chasseur s’étendant sur plusieurs générations. Tout les membres de ta famille s’éveille-t-ils a un moment donné, ou avez-vous des humains parmi vous ? »

J'écoutais attentivement les réponses qu'il me fournissait. Des natifs de la ville, cela expliquait sans doute le fait qu'il connaisse les bonnes personnes.  Par « leurs » je pensais qu'il parlait des humains, vue le méprit qu'il a visiblement contre eux, oubliant qu'en retirant sa bénédiction il en était un aussi, avec ses travers. Par contre, le fait de parler qu'il y avait des altercations mortelles me faisait soulever un sourcil d’interrogation. Il n'y avait pas de règlement ? De police ?  Réfléchissant un peu sur cette information, je me demandais si les deux groupes n'avaient pas utilisé ma méconnaissance pour limiter mes choix… Cela était probable malheureusement.  Par contre, je ne pus m'empêcher un regard sévère sur le fait que je n'avais pas un cadre de vie dangereux, qu'en savait-il ? Non, non, calme-toi.

Je notais qu'il faisait un subtil mélange entre le tutoiement et le vouvoiement. Cela avait le mérite de me changer un peu, même si les questions sur ma famille était assez… dérangeante. Je ne voulais pas parler de Moon, mais cela aurait soulevé des doutes par la suite, surtout si pour une raison ou une autre il découvrait la vérité sur ma personne.  Je n'avais pas tellement le choix, venant à assouvir sa curiosité et puis je doutais qu'un plébéien de son genre puisse avoir des contacts avec les grandes familles, pouvant me risquer à parler d'elle un peu plus ouvertement.

- Je ne suis guère un rat de laboratoire, vous savez.  Père et Mère n'ont eu que deux enfants, des jumelles.  Notre éveil fut précoce, comme notre entraînement. Vous ne pouviez le savoir, mais ma sœur est morte il y a deux… non… cinq jours. Je n'ai effectivement pas vécu dans cet environnement hostile qu'est visiblement Rio, mais je peux vous assurer que la mort dont j'ai rechapée transformerait les explosions en des pétards mouillés.

Je réfléchissais. Devais-je … non. Cela était trop risqué. De plus, je ne le connaissais pas assez. Rien ne me disais qu'il savait garder un secret ou tenir une promesse importante. Il me fallait mieux le connaître, quitte à le revoir plus tard et tisser des liens cordiaux. Avoir des personnes sachant se battre et n'étant pas forcément convenable, aux yeux de ma famille, pouvait être des pions en plus. Surtout si cela pourrait me permettre d'avancer plus vite.  Autant lancer un hameçon et voir comment il mord.

- Pour l'heure, je recherche des moyens pour me développer plus rapidement. J'ai besoin de puissance pour détruire la menace qui a emportée ma chère sœur.

L'appât était lancé. Il ne restait qu'à voir les résultats. Lucifer allait-il me faire des propositions ou alors s'en désintéresser totalement ?

Ses paroles ne laissaient penser que cette ascendance de l’éveil n’allait guère plus loin que ses deux parents, laissant planer le doute quand a l’hérédité de ce don, mais si les deux jumelles qu’ils avaient eus avait reçus l’éveil, peut-être y avait-il du vrais dans cette réflexion … Je ne pouvais cependant m’empêcher de remarquer une sorte de flamme dans ses propos, une arrogance et une assurance qui me parlait et qui me faisait sourire.

« Et bien, on peut dire que tu ne manque pas de cran, quand a savoir s’il s’agit de courage ou d’insouciance, et bien, j’imagine que l’Histoire se chargera de ce point, haha ! Mais oui, ton histoire ne me surprend pas. Nous sommes nombreux à nous jeter dans les donjons sans aucune préparation, encouragés par les promesses des humains. L’argent, la gloire, le pouvoir, ils ne manquent pas de raisons d’envoyer des enfants à l’abattoir. »

Je profite d’avoir terminé ma phrase pour m’installer plus confortablement sur ma banquette.

« Mais … Aussi dramatique que soit ton histoire, il se pourrait bien que je puisse t’aider. Vois-tu, je suis du genre à connaitre des gens, qui connaissent des gens. On peut dire que je sers d’intermédiaire entre nos frères et sœurs qui ont besoin d’aide, et ceux qui sont a même de remplir ces demandes, aussi si tu souhaite te venger de ce donjon, je peux peut-être t’aider à rassembler une équipe. Mais, il faudra me parler un peu plus en détails de ce que tu as affronté là-bas … »

Je levais mon verre a la demoiselle avec un hochement de tête, avant d’engorger son contenus.

Du courage ? Cette qualité me fit doucement sourire. Avais-je l'air d'être une âme courageuse ?  Je doutais aussi faire preuve d'insouciance. Seulement, nous pensons être préparé, ce n'était pas premier donjon. Sans doute pensions-nous que les cadeaux de Père et Mère nous protégeraient d'une plus grande menace. Si nous avons pêché quelque part, cela vient sûrement dans le fait d'avoir sous-estimé les donjons et surestimer les biens offerts.  

L'argent n'était pas l'attrait de nous envoyer en donjon, notre famille possédant suffisamment de richesse. Le pouvoir pouvait être une motivation, mais, nous le savions Moon et moi-même, le but principal était d'augmenter l'influence de notre famille, gagner non en gloire, mais en notoriété, se faire reconnaître pleinement par les grands.  

Je ne pus cacher que la proposition d'aide fut comme une lueur d'espoir.  Je me rappelais ce qu'avait dit miss White, la seule méthode pour devenir puissant était de combattre, combattre et encore combattre.  Cependant, j'y voyais deux obstacles. Tout d'abords qui souhaiterait de moi, un rang E, qui ment par son apparence, laissant planer le doute sur ce que je pense. Former un groupe était aussi risqué de le perdre, que faire si nous tombons à nouveau sur un donjon qui cache des monstruosités surpuissantes.  Le second obstacle était de parler… Devoir rouvrir à nouveau cette plaie qui n'était pas cicatrisée avec une tronçonneuse.

Je ne pouvais m'empêcher de baisser la tête et se frotter les bras, ressentant un violent vent froid m'envelopper. Le médecin familial avait bien expliqué que se forcer n'était pas une bonne chose, mais que se terrer dans le silence n'avait rien de bénéfique.  Mon assurance dégringolait en flèche. Mais je n'avais pas le choix, s'il pouvait m'aider à gagner en puissance, je devais saisir cette chance.

- C'était un donjon pour rang E, type reptile. La monstruosité que nous avons affrontée est une anomalie. Une femme-serpent qui parle la langue des humains.  Sa force suffit à plier les armures comme du papier et est terriblement sadique envers les femmes.

L'odeur dans la pièce n'aidait guère à me calmer, venant plutôt à accentuer mon mal-être.

- Je pense qu'elle peut balayer une armée, nous n'avons pu la blesser efficacement qu'avec un objet familial puissant.

Je me fis violence pour changer de sujet, me forçant à avoir un rire, même si cela ne me rendait que plus pathétique à ses yeux.  

- Je doute qu'une rang E puisse rejoindre un tel groupe. Même en la formant rapidement, je ne serais qu'un boulet.

Ma pensée devait être mise sur table, prenant une profonde inspiration et venant à regarder Lucifer droit dans les yeux, mes mains se posant sur mes cuisses, mes doigts froissant légèrement ma robe, concentrant cette flammèche dans mon être.

- Mon corps n'a pas une grande force physique, ne pouvant encaisser qu'un nombre limité de coups. Il est bien plus taillé pour être rapide et précis, miser sur la force cinétique, si vous voyez ce que je veux dire. Les enseignements de tank de Père ou l’archerie de Mère ont montré leurs limites. Trouvez-moi plutôt une personne qui saura faire de moi une chasseuse qui sera utile dans ce fameux groupe. Je ne serais pas regardante sur ses origines et sa méthode… même un chasseur utilisant ses compétences contre moi.

Je me rendais bien compte, en discutant avec Lucifer, que si je ne me faisais pas botter le derrière, je ne pourrais pas avancer. Plus qu'un oiseau en cage, j'étais un oiseau enchaîné à son perchoir par la peur et la douleur d'avoir perdu une aile. Il fallait que cela change.

- Pensez-vous pouvoir me trouver cela ? Bien évidement, au vu de la demande, votre prix sera le mien.

La demande était risquée, surtout si la guilde des Chasseurs venaient à l'apprendre. Nul doute que madame White reviendrait et cela ne serait pas pour discuter autour d'un verre de thé.

Si la demoiselle était bien de rang E, le donjon dont elle parlait devait être de même rang, ou de rang D, ce qui donnerait un boss dans les rangs C ou B. Pour transformer ce cas en promenade sans grand risque, il faudrait rassembler quelques personnes biens compétentes, mais ça ne devrait pas être bien difficile avec l’argent pour payer le déplacement. Le paramètre le plus compliqué sera de réunir l’équipe avant que le donjon ne se referme.

« Hmmm, si ton donjon est de rang E ou D, ce ne devrait pas être très difficile de rassembler l’équipe pour le boucler, il faudra simplement mettre la main à la patte pour justifier leur déplacement. Mais … faut-il encore que ton donjon soit encore ouvert. Ils ne restent guères ouvert plus d’une dizaine de jour en général, et il est aussi probable qu’une autre équipe s’en soit chargés. Mais s’il est toujours ouvert, nous pouvons nous en occuper. Je doute pouvoir faire de toi un surhomme en si peu de temps, mais je peux au moins t’offrir cette solution, ça ne devrait être l’affaire que d’une petite poignée de rang C …

De manière plus générale, si tu veux gagner en puissance, il n’y a guère que les donjons pour développer ton corps et tes pouvoirs. En dehors de ça, je dirais que tu peux toujours travailler ta stratégie ou ton réseau de contact. J’ai crus comprendre que la guilde des chasseurs organisaient des « formations » pour les débutants, mais les retours sont … plutôt mitigés, de ce que j’ai pus entendre. »

Je rabats ma mains dans mon manteau, avant de tendre une carte de visite a la demoiselle et de me rabattre dans ma banquette.

« Le réseau est toujours disponible pour aider les frères dans le besoin. Je doute que tu sois dans le risque avec la famille que tu te trimballe, mais on ne sait jamais, si tu as besoin d’aide, tu peux m’appeler et on trouvera une solution … Et si tu veux offrir tes services au réseau, et bien nous pourrons en parler plus amplement si l’idée t’intéresse … »

Sam lâche un profond souffle en me voyant donner ma carte a la jeune fille, avant de secouer sa tête de gauche a droite et de se reconcentrer sur son breuvage.

Je baissais les yeux en entendant qu'il supposait que le donjon était E ou D...  Impossible. C'était impossible que l'endroit de cette chose corresponde à un donjon de ce niveau.  Je ne me sentais pas la force de vouloir retourner dans ce donjon.  Quelques chose me disait, au fond de moi, que je risquais à jour de retomber dessus.  Mais, il faudrait pour cela que Fortuna daigne me bénir lorsque la puissance baignera mon corps et mon âme.  

Je ne pus m'empêcher de soupirer, observant le sol, en entendant que les donjons étaient la seule solution.  Je notais pour la stratégie et les contacts, relevant doucement la tête.  Lucifer parlait de la formation des chasseurs. Je doute que suite à la rencontre avec madame White, cette guilde soit très … coopérative, pour bénéficier de cette formation.  Les retours ne voulaient pas vraiment dire quelques chose, il devait y avoir des formateurs très durs, hautain ou trop laxiste.  

L'homme vint à fouiller dans son manteau et me tendre une carte de visite, ce qui eu au moins le mérite de me faire sourire.  Cet homme était décidément très mystérieux et en dépit de son apparence avait tout d'un gentleman.  Je pris délicatement la carte, l'observant, avant d'ouvrir mon sac à main et le mettre dans mon portefeuille, au moins pourrais-je le contacter si besoin.  Il vint aussi à parler des services que je pourrais offrir à cette communauté, allant répondre quand mon téléphone se mit à sonner.  C'était Père, donc le genre de numéro que je devais répondre impérativement.

Doucement, je sors l'objet.

- Veuillez m'excuser.

Je décroche et répond.

- Oui Père, que me vaut cet appel ?

Je plissais les yeux en entendant que le chauffeur avait vendu la mèche.  Père désirait savoir où je me situais, signifiant que l'endroit n'était pas sûr pour des personnes de nos rangs, le blabla habituel.  

- En dépit de ce que vous dîtes, Père, je n'ai guère fait de mauvaises rencontres. Quelques petits brigands de bas-étage, mais qui ont fuis en disant que j'étaie une chasseuse de parent de rang C. De ce que j'ai comprit, ici, la loi n'est guère identique qu'à Séoul sur l'usage des bénédictions sur les autres.

Père me sermonnait sur mon attitude, venant à dire que Moon n'aurait pas fait une telle escapade. Cela me fit voir rouge, mes doigts venant à se contracter sur l'appareil, répondant d'un ton sec, ma voix perdant quelque peu de son ton féminin, perdant la prudence des mots face à des témoins.

- Pensez-vous qu'elle aurait supportée d'avoir des prétendants tournant autour d'elle toute la soirée, ne la voyant que comme une jolie pouliche à engrosser ?! La réponse est non ! J'ai beau n'être que son frère et sa doublure. Je la connais bien plus que vous, Père. Je reviendrai quand j'aurai fini cette « escapade », comme vous le dites.

Sans laisser de temps à Père de tenter de faire pression pour un retour immédiat, coupant l'appel et rangeant le téléphone dans le sac.  Je soupirais, me rendant compte que j'étais allez bien trop loin et que Lucifer devait être un peu choqué d'apprendre la vérité. Je ne savais pas tellement comment il allait réagir. Voir un homme se féminiser était une idée répugnante pour certains, faisait-il partie de ceux-ci ? Allait-il changer d'attitude et se montrer froids ?  Je repris mon ton féminin, comme si de rien n'était.  

- Ma famille a besoin de cette mascarade, pour donner à ma sœur des funérailles décent. Si cela vous semble trop étrange, je peux vous rendre votre carte de visite et partir sur le champ.

La demoiselle semblait vouloir répondre, mais elle fut interrompue par un appel, visiblement des plus pressants. Je patientais donc, tranquillement installé, observant avec plaisir la jeune fille s’emporter avec son paternel. Elle ne semblait vraiment pas partager son goût pour les soirées mondaines et les personnes qu’on y rencontre, ce que je peux facilement concevoir. Mais il y avait une information de poids : J’avais en face de moi un homme se faisant passer pour sa propre sœur.

Lorsque mon travestis raccrocha son téléphone, il se tourna vers moi, s’attendant visiblement a un visage choqué là où il ne trouvait que le sourire habituel de cette conversation, si ce n’est peut-être plus prononcé, au vus des circonstances.

« Hmm ? Oh pardon, je devrais m’offusquer ? Voyons, nous sommes en 2040 mon cher, les travestis font partie intégrante du décor … Et puis, je n’ai que faire de tes attributs sexuels, ou de tes préférences en matière de literie, il n’y a guère que les humains pour trouver de l’intérêt dans ces potins de bas-étage.

Mais … Je dois dire que je n’en comprends pas vraiment l’intérêt. Un enterrement n’est pas si compliqué à organiser d’ordinaire. Pourquoi aller jusqu’à effacer totalement l’un de ses enfants pour en faire une copie conforme de l’autre ? S’il s’agissait bien de ta sœur, n’étiez vous pas … égaux ? »

Apparemment, il ne semblait pas choqué sur son visage.  La première réaction laissait presque penser qu'il n'avait pas fait attention à mes mots, avant de se reprendre et  sentir mes joue s réchauffer en entendant cette personne parler de mes préférences de partenaire. Ce genre de détails n'avait pas été nécessaire pour comprendre qu'il s'en fichait de ce que j'étais, laissant penser qu'il avait une préférence sur la psyché de ses interlocuteurs, ce qui restait une bonne chose.

Il était franc sur son incompréhension, venant à former sur mon visage un sourire que l'on aurait pu penser de moqueur, quant la question de l'égalité entre ma sœur et moi-même fut abordée.  Je pris le temps d'attendre un peu avant de lui fournir quelques corrections.  

- Je préfère le terme doublure. Pour ce qui est de l'enterrement,  notre famille possède quelques traditions qui allongent le délai normal. Combiné à cela le fait que nous étions invités à cette soirée, le timing n'était guère favorable pour nous. Refuser cette invitation et ne pas présenter ma sœur aurait été sujet à de vive critique, si ce n'est des représailles qui auraient coûtées cher. Malgré d'être des chasseurs, notre famille est très liée aux humains, à leurs codes et limites.  Nul doute que Père fera prévaloir cette mascarade, après l'enterrement, pour trouver des prétendants ou prétendantes ayant assez de… goût, pour vouloir un rapprochement.

Je pris une petite pause, n'ayant guère la possibilité de me réhydrater avec le verre qui était au sol, mais, n'étant pas encore très inquiet concernant la continuation de cette conversation. Cela restait tout de même assez agréable de ne pas avoir été refoulé.

- La famille Mylonas privilégie les femmes, elles sont les garantes du savoir antique de notre famille ainsi que des traditions, qui ont un minimum évolué pour rester compatible avec notre époque.  L'effacement de ma personne n'est que la conséquence naturelle d'une décision hâtive de Père. Ma sœur et moi-même ne sommes que des chasseurs de rang E. Cependant, à nous deux, nous n'avions pas besoin de mot pour nous comprendre et cela, Père, voyait cela comme un désavantage. Il chercha à nous séparer, entraînant naturellement une rébellion de notre part, prenant cette forme. Il était plus aisé pour moi d'être la doublure de ma sœur, que l'inverse. Contrairement à ce que pense Père, les femmes sont à la limite du sacré dans la lignée maternelle, étant les descendantes des prêtresses d'Artémis.  

Je me rendais compte que je m'emportais un peu trop dans les explications, non par le ton, mais par le contenu. Je ne pouvais nier que j'avais une certaine fierté d'appartenir à la lignée de Mère.

- Excusez-moi si mes propos sont assommants.  Pour résumer, cette apparence est arrangeante, tant pour Père, que pour moi-même. Bien qu'ayant conscience que je n'égalerais sans doute pas les qualités que ma sœur avait.

« Ahhh, les traditions … Typique des humains … »

Disais-je d’un ton dédaigneux en me reversant un verre.

« Je trouve tout de même amusant la capacité des humains à ne voir le passé que lorsqu’il les arrange. Les traditions … Où comment briser les jeunes générations pour en faire les parfaits pantins de leurs patriarches, ou matriarches dans votre cas. C’est d’un pathétique … »

Je baisse la tête quelques instants pour me frotter les yeux, avant me redresser, prendre une inspiration et reprendre comme précédemment.

« Ces fameuses traditions ne sont-elles pas justement la raison de ta détresse ? Si vous étiez nés dans une famille ordinaire, vous auriez pus vous épanouir pleinement de votre lien. Au lieu de ça, vous vous êtes retrouvés embrigadés dans les donjons, pour l’honneur de la famille. Celle la même qui, malgré sa position et sa fortune, a mené ta sœur a la mort. Sont-ils vraiment dignes de tous tes efforts, de tous tes sacrifices, de tous ses sacrifices ? »

J'eus un léger tic sur le visage quand il commençait à critiquer les traditions.  Je me doutais que nous n'avions pas la même visiond des choses, cependant, je ne me permettais guère de commenter. Je pouvais clairement comprendre que suivre les traditions pouvait apporter du réconfort, on vit dans un cadre, des fois étroit, mais qui permet d'avoir une projection de l'avenir, aussi nuisible soit-il.

Il était certain que je n'étais pas un pantin libre de tous mes mouvements. Pourtant, aussi répugnante soit cette pensée, la mort de Moon avait coupé quelques fils.

Monsieur Lucifer se mit à supposer des choses.  A quoi cela servait de penser à une vie que je n'avais pas ?  Je doute que dans une famille ordinaire cette opportunité d'être la doublure de Moon soit possible, au vu de l'esprit de la plèbe. Il titilla à nouveau la corde sensible en cherchant à impliquer ma sœur dans la conversation.  J'eus un sourire, lèvres fermées, même si dessous ma mâchoire était légèrement serrée.

- Je peux concéder que les traditions sont des carcans. Il ne fait aucun doute que d'autres enfants auraient été davantage dignes, tout comme ils seraient morts plus rapidement, selon moi.  Je ne pense pas être digne de Père ou Mère, mais eux comme moi n'avons plus le choix que de faire avec ce qu'il reste.

Cette conversation semblait tourner un peu en rond. Il était certain que nos visions divergeaient. De ce que je comprenais, monsieur Lucifer était pour un renversement de régime, mettre les bénis aux pouvoirs. L'idée pouvait séduire, mais il paraissait oublier une chose, nous étions tous issu d'humain, mais je doutais fortement qu'il soit enclin à accepter ce fait.  

- Si cela ne vous dérange pas, je souhaiterais prendre congé. Vous avez le loisir d'être libre, ce qui n'est guère mon cas et je souhaiterais éviter d'émietter les fragments que je possède encore, en restant trop longtemps dehors.

Il ne faisait aucun doute que Père attendait de savoir que j'étais rentré et que rester trop longtemps avec monsieur Lucifer accentuerait la sanction à mon encontre.

Je lâchais un petit soupire aux paroles de Yuri, qui se disait ne pas avoir de liberté contrairement a moi. Pensait-elle que mes positions ne m’avaient pas déjà attiré leurs lots de problème ? Mais visiblement elle n’attendait guère plus de cet échange et préférait retourner auprès de son paternel avant que la punition ne devienne trop sévère.

Je ne fis pas de signe particulier pour la retenir lorsqu’elle se leva prête à partir, mais je ne retins pas ma langue pour autant.

« Aucune liberté n’est acquise, Mylonas, elles doivent toutes être conquises, et sur ce point tu en es aussi capable que tout un chacun … »

Je levais un verre vide en hommage a ce dos qui nous quittait, avant de tourner la tête pour voir Sam avachit sur la table à ronfler, ce qui ne manqua pas de m’arracher un sourire en coin malgré un mouvement de tête plein de désespoir.