14 septembre 2014. Alex est née sur les terres glacées de l’Islande, entourée de deux parents aimants. Sa mère était une pure islandaise et avait rencontré son père, allemand, lors d’un échange universitaire à Paris. Il était tombé fou amoureux d’elle et l’avait suivi jusque dans son pays où il l’avait épousé. C’est de cette histoire d’amour que naquit Alex, un adorable bébé qui emplit rapidement la maison de ses gazouillements heureux. Fille unique, elle fut gâtée et chouchoutée comme une princesse pendant toute son enfance, faisant la fierté de ses parents en ramenant les meilleurs bulletins de sa classe.

31 juillet 2028. La mère d’Alex s’enrôle dans la guilde de la Gloire, se révélant être une chasseuse de rang B. Elle rejoint une amie de longue date rencontrée en France pendant ses études : Rita Lombardi. Elle est l’une des premières membres de la guilde. Alex, âgée de 13 ans, est fière de sa mère et l’admire plus que tout. Cependant, celle-ci doit s’absenter de plus en plus souvent à cause de sa nouvelle occupation. Elle prend cependant toujours le temps d’appeler sa fille tous les soirs pour lui parler de ses journées. Son père prend soin d’elle. Ses amis sont là pour lui changer les idées. Les fêtes de fin d’années sont l’occasion idéale de se retrouver et passer des moments ensemble.

9 mai 2029. Ces jours heureux prennent brutalement fin à l’annonce de l’attaque de l’escouade de Rita Lombardi. Un membre de la guilde annonce à Alex et son père la mort de Katrín Distel. Le choc, la colère, l’incompréhension, la tristesse se bousculent dans la tête de la jeune fille de 14 ans. De nombreuses larmes couleront cette nuit-là. Les jours suivants, elle refusera de sortir de sa chambre, se roulant en boule sous la couette, rejetant la réalité aussi fort qu’elle le pouvait.

28 février 2030. Les cartons s’empilent les uns après les autres dans le camion de déménagement. La maison est désormais entièrement vide. Alex ne lance même pas un regard derrière elle alors qu’elle s’installe sur le siège passager. Son regard est baissé vers ses pieds. Aucun mot ne franchira ses lèvres jusqu’à son arrivée en Allemagne. Elle n’a jamais voulu partir, mais l’absence de sa femme devenait trop dure à supporter pour son père. Une gamine de 15 ans n’avait pas son mot à dire dans cette histoire. Elle allait devoir s’acclimater à ce nouveau pays, loin de tout repère. Cette figure paternelle était presque devenue étrangère tant elle avait changé ces derniers mois. Ils ne s'échangent presque plus un mot, chacun faisant son propre deuil de son côté.

5 octobre 2031. Première fugue, première nuit à la belle étoile. Une énième dispute avait éclaté à propos des résultats scolaires de l’adolescente. Ces derniers avaient drastiquement chuté à son arrivée en Allemagne. Son comportement déplaisait aussi grandement à son père. Il avait eu la merveilleuse idée de fouiller dans la chambre de sa fille, y trouvant un paquet de cigarette. Au lycée, Alex faisait partie de ce groupe de jeunes antisociaux qui n’hésitait pas à répliquer à toutes les piques, et pas de la manière la plus pacifique qui soit. Elle se sent incomprise, coupée de tout. Les études lui semblent bien inutiles face à la fatalité de la mort. Allongée sur la pelouse, les yeux levés vers les étoiles, elle se questionne sur le sens de son existence.

30 août 2032. Alex jette son sac à dos sur son épaule en descendant du car. Visiblement, son père n’avait rien trouvé de mieux que de l’envoyer dans une école militaire pour essayer de la recadrer. Le dialogue, ça aurait peut-être aussi pu marcher… Ce n’était apparemment pas une idée qui lui avait traversé l’esprit. La voilà donc passant le portail de l’institution, recevant son badge, visitant la chambre où elle passera les prochains mois. L’homme qui l’accompagne se tient droit et la toise d’un regard froid. Elle devine qu’il ne sera pas tendre avec elle. Un soupir franchit ses lèvres. Elle allait devoir laisser sa réticence face à l’autorité sur le carreau si elle souhaitait avoir un minimum de liberté.

8 janvier 2034. Première lettre de son père depuis son arrivée à l’école militaire. Une photo l’accompagne, celle de deux bébés. Des jumelles. Ses demies-soeurs. Il semblait avoir refait sa vie, loin d’elle. Un faire-part de mariage tombe sur le bureau. Alex l’observe longuement avant de le déchirer et d’en jeter les morceaux à la poubelle. La colère bouillonant en elle se défoulera sur l’un des punchings bags de la salle de gym. Elle ne pardonnerait pas cette énième trahison. Elle ne voulait plus jamais entendre parler de lui, ni voir sa femme et encore moins ses nouveaux enfants. Les quelques personnes présentes ce jour-là purent remarquer les larmes qui coulaient sur ses joues. Elle-même n’en avait pas conscience.

7 janvier 2038. Il ne s’agissait que d’une patrouille ordinaire dans les rues de Berlin. Alex était entourée de deux amies proches, rencontrées à l’école. Elles avaient prévu d’aller boire un verre après leur service, bien décidées à partager les derniers potins ensemble. C’était bien sûr sans compter sur une altercation entre plusieurs hommes devant la gare, empêchant les passants de s’approcher. La situation dégénéra rapidement lorsque l’un des protagonistes sortit un couteau et commença à menacer l’un de ses adversaires avec. La militaire fit signe à ses collègues de s’occuper de la sécurité des civils alors qu’elle s’approchait de l’homme armé, appelant les renforts postés à l’intérieur du bâtiment. Elle ressentait une sensation étrange dans ses doigts, comme un fourmillement. Elle n’y prêta pas attention, concentrée sur la situation. Elle attira d’abord l’attention des trouble-fêtes sur elle pour calmer le jeu. Du haut de son mètre quatre-vingt deux, elle en imposait. Son uniforme et l’arme qu’elle portait devrait suffire à intimider suffisamment ce petit groupe. Ce fut le cas pour la plupart qui firent quelques pas en arrière avant d’être interceptés par d’autres militaires. L’homme armé quant à lui semblait être sous influence. Sûrement la cocaïne à en juger par la fine trace blanche sous son nez, son souffle court et son regard. Et aussi son comportement impulsif et irraisonné. Qui le poussa, bien sûr, à se jeter sur la jeune femme. Malheureusement pour lui, Alex avait suivi un entraînement très strict au combat rapproché et à la self-défense qui ne lui laissait aucune chance. Il ne fallut que quelques gestes à la demoiselle pour neutraliser la menace et la mettre à terre. Un cri lui perça les tympans alors qu’elle le prenait par l’épaule pour le relever. Cette dernière venait de se déboiter. Pourtant, elle n’avait pas utilisé toute sa force dans cette simple action…

9 janvier 2038. Alex était une chasseuse. La nouvelle était tombée hier, après qu’on lui ai fait passer des tests d’aptitudes. Sa force était supérieure à celle d’un humain normal. Assise sur le lit de son petit appartement, elle contemplait la lettre de démission qu’elle donnerait un peu plus tard dans la journée à ses supérieurs. Après cinq années de bons et loyaux services pour l’armée allemande, il était temps qu’elle prenne sa retraite et cherche à vivre une vie plus… banale. Une vie où elle n’aurait pas à utiliser sa force et blesser malencontreusement des innocents.

8 avril 2038. Après de longs mois à chercher sa nouvelle vocation et à tester des petits boulots à droite à gauche, Alex avait décidé de commencer une formation de mixologie dans le bar d’une connaissance. Le milieu de la nuit lui plaisait plus qu’elle ne l’aurait pensé. Sa carrure mettait facilement en confiance les femmes, se sentant plus à l’aise d’être servie par l’une des leurs et sachant que celle-ci était prête à remettre à leur place les gros lourds. Lors de ses jours de repos, l’ex-militaire entraînait ses compétences de chasseuse nouvellement acquises. Elle était bien décidée à marcher dans les pas de sa mère et intégrer un jour la guilde de la Gloire elle aussi. Elle voulait découvrir la vérité sur sa mort, celle qu’on n’avait jamais osé lui dire. Sûrement pour la préserver. Mais maintenant, elle était forte. Aussi bien physiquement que mentalement. Lorsque ses horaires le permettait, elle rejoignait un petit groupe d’explorateurs de donjons. Ses techniques de combat au corps-à-corps lui permettaient d’avoir aisément le dessus sur les monstres plutôt faiblards et de protéger ses coéquipiers. La jeune femme s’en sortait rarement sans égratignures, mais la satisfaction du devoir accompli suffisait à compenser la douleur de ses blessures.

2 septembre 2040. Ce n’était qu’une exploration ordinaire. Le petit groupe d’explorateurs, devenus amis avec les années, s'aventura une nouvelle fois dans un donjon de faible niveau, espérant récolter des ressources intéressantes. Alex accomplissait comme à chaque fois sa mission de garde du corps, épaulée par un mage débutant et deux archers qui avaient à plusieurs reprises sauver sa peau par le passé. La soigneuse du groupe, particulièrement observatrice, repéra au loin un éclat doré. Elle partagea sa découverte au groupe qui s’engagea alors dans la direction indiquée, espérant trouver un trésor qui leur permettrait d’acheter un meilleur stuff et de pouvoir s’attaquer à des donjons plus complexes. Ils finirent par arriver devant une porte immense, couverte de dorures de motifs complexes s’entrelaçant les uns avec les autres. Un frisson parcourut l’échine de l’ex-militaire, son instinct lui intimant de prendre ses jambes à son cou. Seulement, ses coéquipiers ne l’entendaient pas de cette oreille et une dispute éclata rapidement entre les membres de l’équipe. Alors que la jeune femme les suppliait une énième fois de ne pas s’aventurer à l’intérieur, un grincement sinistre retentit. L’air se glaça alors que les portes s’ouvraient, semblant vouloir mettre fin à la querelle en les invitant d'elle-même à l’intérieur.

La soigneuse fut la première à s’aventurer à l’intérieur, suivie par les deux archers. Alex et le mage, les plus sceptiques, fermaient la marche. La porte se referma derrière eux, les plongeant un bref instant dans le noir. Puis des torches s’allumèrent, révélant une large pièce, remplie d’artefacts magiques et de pièces d’or. Au milieu de la salle se tenait une silhouette humaine, le visage caché par une longue capuche. De longs cheveux gris en sortaient. La pièce était plongée dans un silence de mort, uniquement brisé par les pas des explorateurs. Alors que la soigneuse commençait à s’enthousiasmer de toutes les richesses qu’ils pourraient piller, la barmaid aperçut un léger mouvement de la part de la silhouette encapuchonnée. Un nouveau frisson secoua sa colonne vertébrale. Ses camarades commencèrent à échanger, parlant de plus en plus fort alors qu’ils se remplissaient les poches. L’un d’eux fit tomber l’un des objets au sol. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

Un cri strident retentit dans la pièce, rebondissant contre les murs, explosant les tympans de toutes les personnes présentes. Tous se tournèrent les uns vers les autres, sous le choc. La soigneuse ouvrait grand la bouche. Sans doute était-elle en train d’hurler, cherchant à communiquer. Elle fut la première victime, transpercée par une épée dorée à plusieurs reprises. Même après que son corps sans vie soit tombé au sol, l’arme s’acharnait sur elle. Alex détourna son regard de cette scène. Sur sa droite, le mage était en train de se taper violemment la tête contre le mur. Les deux archers, les yeux vides, bandaient leurs arcs l’un contre l’autre. Tremblante, l’ancienne militaire jeta un regard dans la salle. La silhouette n’était plus au milieu, non. Elle était désormais juste derrière elle. La jeune femme retint son souffle, fermant les yeux, priant intérieurement pour que toute cette scène ne soit qu’un mauvais rêve. Plusieurs secondes, ou peut être minutes passèrent avant qu’elle n’ait regagné totalement son calme et se décide enfin à rouvrir les paupières.

L’entité se trouvait face à elle, son visage à quelques centimètres du sien. Elle avait les traits d’une vieille femme, le teint grisâtre, des poils gris et blancs. Ses yeux étaient cousus ainsi que sa bouche. Un point de suture avait été coupé, sur l’un des coins de sa bouche. La commissure de ses lèvres bougeait rapidement, comme si la vieille sorcière marmonnait quelque chose. Alex sentait une présence dans son cerveau, comme une main qui venait remuer tout ça. Un sourire malsain orna le visage de l’entité, comme si elle venait enfin de trouver quelque chose d’intéressant. Un souvenir qu’elle pouvait corrompre. La pièce se transforma. Désormais la jeune femme se trouvait au milieu d’une forêt, ses jambes entravées par des ronces. Devant elle se tenait une femme qu’elle ne connaissait que trop bien : sa mère. Une dizaine de monstres les entouraient et la prenaient d’assaut un à un. Alex se débattit, mais à chaque mouvement qu’elle faisait les ronces pénétraient un peu plus sa chair. Des larmes roulèrent sur ses joues alors qu’elle suppliait sa mère de s’enfuir. En vain. Son corps finit déchiqueté entre les dents de trois molosses qui tournèrent alors leurs yeux avides de sang vers elle. Alors que l’un d’eux se jetait sur sa gorge, un message apparut.


D’un doigt tremblant, Alex accepta l’offre. Alors que les mâchoires se resserraient sur sa gorge, le monde entier devint noir.