Le gosse du milieu. V'voyez ? Jamais une position confortable, hein ? Trop jeune pour parler de maturité, mais juste assez vieux pour être un minimum responsable. La plaie.

J'suis né quatre ans après l'aîné, papa ou Viktor Weiss pour les pas intimes. Il était parti pour relancer la machine à mioches et j'deviens donc sa deuxième fierté de la famille. Pff, mais ça c'était avant qu'il devienne complètement gaga auprès d'Iris qui mystérieusement nous rend tous gaga. Après vérifications, nan, en effet... Pas de sortilèges. Papa, c'est mon confident, mon meilleur pote, mon mentor, mon patron. Edel, il est cette espèce d'idéal dont l'image est si parfaite que j'y ai toujours vu quelque chose de louche. Et j'ai eu raison. Il y a des obscurités qui doivent bien rester gentiment dans les ruelles de la vie privée. Maman - ou Amanda Weiss - c'est celle qui me dit de me réveiller et de trimer, de projeter de véritables ambitions et qu'il faudrait que je me prenne en mains. Malgré son regard un peu plus austère envers les choses, elle me manque. Tous les jours. Même quand elle est là, avec nous. Parce que j'anticipe d'avance qu'elle partira. Partagé entre l'admiration d'être aussi complet dans la vie, et triste, de donner l'impression de mettre de côté la famille. Une impression ? Un fait ? Pas la foutue idée. J'ai jamais eu le cran d'en parler à papa, et je le ferais jamais. En tout cas, on devait faire sans et rester ensemble. Pis, le paternel s'est mis à bosser à la Guilde des chasseurs. Notre cercle réduit sa circonférence, et notre visage responsable et figure de parent à mi-temps était ni plus ni moins que Edel Weiss. Dans la grande piaule familiale où papa radinait aussi souvent qu'un invité ponctuel. J'suis pas dans la perspective de lâcher des mots doux à bout portant avec lui, plus facilement avec Iris. Mais envers Edel, j'en pense pas moins. Il est important pour moi, quoi que je fasse. Et s'il me protège pas des autres, il me protège de moi-même.

Contrairement à ma petite sœur justement, j'étais carrément moins discret depuis toute mon enfance. Vous savez, le gosse qui casse tout ? Qui gueule tout le temps ? Capricieux ? Et surtout, qui a la mandale facile ? Yeap. C'est moi. Et surtout, je m'ennuyais. Beaucoup. Surtout à l'école. Oh, pas que je pigeais rien. Au contraire, c'était terriblement facile. Et ça c'est le problème, j'vais m'en rendre compte bien plus tard. Que ça soit au niveau des langues, au vu du métier de ma mère ou bien quand mon grand-frère parlait régulièrement avec mon paternel en allemand. Et donc de fait, à nos multi-origines. Mais aussi les matières générales où j'avais juste l'impression qu'on me prenait pour une grosse dinde qui ne panait rien. Bref, ce manque de stimulation va massacrer mon parcours scolaire. J'vais porter l'étiquette d'un caïd d'école, étiquette pas très cool de porter. Mais même si les clichés ont la peau dure, mes poings aussi. Que ça soit pour me défendre ou bien défendre le plus faible, j'hésite pas à jeter des salades de phalanges dans la tronche des gens qui le méritent. Comme ces personnes qui ont décidé d'emmerder ma sœur. Bon, j'dois avouer que mon frangin m'a fait bien plus peur qu'autre chose... Mais, ça, c'est une autre histoire. Papa va commencer à analyser le bordel et me propose de me trouver un sport qui va permettre de me canaliser. La Boxe anglaise sera la solution.

Les années défilent, et j'commence à lâcher du lest. Mon tempérament explosif est noyé dans l'acharnement sur un punching-ball, en poussant la fonte, en poussant le sol de pompes dont le nombre est déraisonnable. J'ai grandi, mon corps s'est drastiquement renforcé, et j'ai enfin trouvé quelque chose qui me stimulais. Un sens, finalement. Une discipline que j'ai pu appliquer dans tous les axes de ma vie pour être droit dans mes godasses. Que ça soit à l'école, avec les potes, et même mon frère avec qui je passais mon temps à essayer de me confronter. Maintenant, l'acceptation de ma personne m'a permis d'accepter ma position dans la fratrie. Pas au point d'être une aussi belle lumière que mon frère ou ma sœur, mais juste assez pour rendre ma mère fière. Surtout quand elle m'a vue tenir une ceinture de champion de ma catégorie en ligue régionale. Mais moi, ça me suffisait pas. C'était de savoir mon frère, Chasseur, qui me rendait encore affamé d'aller plus loin. Il le sait, Iris le sait, papa le sait. J'pouvais bouffer du cheval en salade. Quand Iris demandait à Edel de faire gaffe, moi j'lui lâchais mon meilleur tcheck. En lui assurant qu'un jour, moi aussi j'me distinguerais à ce niveau. J'avais foi, ouais.

En attendant, il fallait moi aussi, un métier. La guilde ? L'occasion ne s'est jamais présenté, et j'suis pas de ceux qui reste fâché sur une frustration. C'est perdre du temps, il faut avancer coûte que coûte. Alors, comme notre famille est assez thuné pour se lancer dans des écoles prestigieuses, j'ai choisi les écoles supérieures de criminologies. Bosser pour les forces de l'ordre, un truc du genre. En tout cas c'était le projet. Et puis.. Haha, l'éveil a toqué à la porte comme le jackpot de ma vie. Gros cogneur, gros cardio, mental solide. Y'avait plus qu'à poser les termes. Y'avait plus qu'à chercher ce "oui" qu'Edel a mit tant de mal à nous pondre. A moi autant qu'Iris. Mais il a cédé, et maintenant que ma frangine et moi avions signé, il était de se lancer dans ce que j'ai toujours voulu faire : nager dans le monde de mon grand-frère et lui prouver que moi aussi, j'suis un Weiss qui vaut le coup. Ce jour-là, ou Aaron Weiss est devenu chasseur pour le meilleur et pour le kiffe. Il nous avait posé la condition d'y faire le premier donjon à ses côtés, en lui faisant une confiance aveugle. Mais ça, ça me semblait évident. C'est mon frère, il est une partie de ma vie.

Un donjon de bas niveau, qu'il disait. Normalement, une promenade avec des obstacles qu'on pouvait appréhender. En tenue adéquate alors qu'on croisait des avocats qui prenait leurs café devant la préfecture d'Ibaraki. Marrant. Quand on voyait les brochettes de personnes y allait la mine morne et le soupire lassé entre les lèvres, pour moi c'était gagné. Edel était ronchon ce jour-là, j'm'en souviens. On aurait dit moi devant un match truqué. Et quand il est comme ça, j'commence à douter grave. Progressant dans un grand passage qui nous dévoile une vue un peu trop grande que ce qui était prévu, on décide quand même d'avancer. Excité, l'environnement qui fouette le sang par l'adrénaline, j'étais chaud patate. Jusqu'à l'embuscade. Comprenant rien au début, la seule qui me préoccupais c'était de savoir ma famille en sécurité. La première fois que j'vois autant de personne mourir dans un périmètre autour de moi. Des bestioles s'invitent à la fête pour terminer le boulot alors que c'est l'alerte générale dans le groupe. Groupe qui rétrécie à vue d'œil. Il ne restera qu'Iris, Edel et moi-même. Ce type avec son pilier lumineux, j'avais rien pigé de ce qui venait de se passer. Un laps de temps trop court pour le mesurer réellement, et voilà que tous nos collègues sont réduit en cendres. Plus rien. Fin du film. Rideau.

Mais Edel passe la seconde. Je me souviens avoir été pétrifié. Les yeux humides. Le sifflement d'une flèche vient chercher le visage de mon grand-frère. A ce moment-là, j'ai cru entendre des hurlements. C'est quand il finit au sol que je me suis rendu compte que... C'était moi qui les avait poussés. Le coeur en miette, bousillé par le chagrin, la rage et le tourment. Le blast d'une explosion viendra me propulser droit dans un mur et ensuite...Tour noir. Le temps et l'espace avait l'air de se déformer quand j'vois une fenêtre apparaître sous mes prunelles.


Sans dec'.
Bougez-pas, j'arrive.
J'ai un boulot à terminer.